Chaque jour, nous nous levons et essayons de vivre au mieux notre vie. En plus d'aller au travail et de consacrer du temps à notre famille et à nos amis, nous faisons également des efforts pour garder notre corps et notre esprit en bonne santé. Malheureusement, il existe un facteur qui a un impact sur notre santé, mais sur lequel nous n'avons que peu de contrôle en tant qu'individu : la pollution atmosphérique. Le Programme des Nations unies pour l'environnement a choisi le 7 septembre comme « Journée internationale de l'air pur pour des ciels bleus » afin de souligner la nécessité de s'attaquer à ce problème mondial, qui nous coûte 7 millions de vies humaines par an.
Parmi les gaz produits par l’activité humaine, les molécules de NO et de NO2 sont libérées par les processus de combustion. Le NO2 est en particulier responsable de problèmes respiratoires. À l’IASB, nos scientifiques et ingénieurs ont passé plusieurs années à développer et à perfectionner un instrument portable, la caméra NO2, pour nous aider à mieux détecter la présence de ce gaz.
Causes et effets de la pollution par le dioxyde d'azote
En Belgique, les zones urbaines et industrielles connaissent de pics réguliers de pollution de l’air par le dioxyde de soufre (SO2), l'ozone troposphérique (O3), les particules fines (PM) et le dioxyde d'azote (NO2). À l’IASB, nos scientifiques et ingénieurs travaillent depuis plusieurs années au développement et au perfectionnement d'un instrument capable non seulement de mesurer le NO2, mais aussi de visualiser sa distribution au-dessus des zones urbaines ou dans les fumées industrielles.
Le NO2 est un gaz invisible qui est produit lors de la combustion de carburant, que ce soit pour le transport, l'industrie ou le chauffage. Respirer un air contenant de fortes concentrations de NO2 peut irriter nos voies respiratoires. Cela peut aggraver les maladies respiratoires existantes et contribuer au développement de problèmes ou d'infections après une longue exposition.
En outre, le NO2 réagit avec d'autres substances chimiques présentes dans l'air pour former des particules et de l'ozone troposphérique, qui sont encore plus nocifs pour notre santé. Il peut donner lieu à des pluies acides, qui endommagent les cultures et les forêts. Enfin, il augmente la concentration d'azote dans l'air et dans l'eau, ce qui peut perturber les écosystèmes marins.
L'invisible rendu visible
La quantité de NO2 dans l’air est mesurée depuis l'espace depuis longtemps déjà. Toutefois, si les satellites d'observation de la terre fournissent des cartes mondiales de la pollution, la résolution spatiale (le nombre de pixels, et donc de détails, dans une image) obtenue permet à peine à saisir les émissions à l'échelle des villes. D'autre part, les stations de mesure de la qualité de l'air au sol renvoient des mesures localisées qui peuvent ne pas bien ‘voir’ la pollution, par exemple au prochain carrefour ou une rue plus loin. Elles ne peuvent pas couvrir une grande zone. Il nous manque donc un instrument capable de combler ce fossé entre les mesures à grande et à petite échelle, un instrument qui puisse résoudre la pollution locale avec une haute résolution spatiale.
C'est pourquoi la caméra NO2 a été développée. Grâce à cet instrument, nous sommes en mesure d'effectuer des campagnes de mesure partout où le champ de vision est dégagé : dans le port animé d'Anvers, sur un toit de la ville ou dans la rue de la Loi au cœur de Bruxelles ! La caméra nous permet également de mesurer la pollution azotée dans différentes situations : elle est très performante pour surveiller à la fois les émissions d’une source ponctuelle (comme un panache industriel) ou la concentration ambiante générale sur une grande zone (comme au-dessus de la ligne d'horizon d’une ville).
Développement et application de la caméra NO2
L'idée de la caméra NO2 provient d’un instrument similaire destiné à la mission ALTIUS, une mission satellitaire initiée par l’IASB et dont le lancement est prévu en 2025 dans le cadre du programme Earth Watch de l'ESA. Une fois opérationnel, ALTIUS sera capable de combiner plusieurs techniques d'observation différentes (géométries de mesure) afin de surveiller l'atmosphère terrestre, même lorsque le satellite se trouve du côté nuit de la planète (lorsque les méthodes d'observation classiques échouent en raison du manque de lumière solaire pour effectuer des mesures spectrales). Il surveillera l'ozone stratosphérique (notre couche d'ozone protectrice) ainsi que d'autres espèces comme le NO2, le NO3, la vapeur d'eau, les aérosols, etc. De nouvelles missions comme celles-ci sont nécessaires pour surveiller la tendance à la reconstitution de la couche d'ozone (depuis les mesures prises par le Protocole de Montréal).
Le concept de l’instrument repose sur la mesure de la lumière solaire diffusée par l’atmosphère. Le long de son chemin, la lumière subit l’absorption par un certain nombre d’espèces gazeuses, mais la puissance de cette absorption varie en fonction de la longueur d’onde (la couleur de la lumière). Le NO2 par exemple absorbe surtout dans le bleu, alors que l’O3 absorbe principalement dans l’ultraviolet (les UV), et un peu dans le rouge. En reconnaissant la signature qu’une espèce chimique laisse dans le spectre de lumière, et en estimant l’intensité de l’absorption, on peut déterminer la quantité de molécules de cette espèce rencontrée le long du chemin de la lumière.
En travaillant sur un prototype d'ALTIUS, le chercheur Emmanuel Dekemper a compris le potentiel d’un instrument similaire pour un usage au sol. L'idée a d'abord été testée en sortant le prototype du laboratoire pour une campagne de mesures dans l'une des centrales électriques les plus polluantes d'Europe, en Roumanie. Avec ses collègues Jurgen Vanhamel et Bert Van Opstal, le prototype a été utilisé et a donné des résultats sans précédent : le champ de NO2 dans le panache a pu être observé comme jamais auparavant.
Le succès des mesures a déclenché une série d'optimisations. Les améliorations ont concerné à peu près tous les aspects : réduction de la taille, de la masse et de la consommation d'énergie, augmentation frame rate de la camera, meilleur logiciel de contrôle, algorithmes de traitement des données plus performants, et plus encore...
Le nouvel instrument a été testé depuis le toit de notre Institut, qui offre une vue dégagée en direction du centre de Bruxelles. Pour la première fois, la pollution au-dessus de la capitale belge a pu être observée et mesurée avec une très haute résolution spatiale.
Au début de cette année, un autre test a été effectué, cette fois-ci depuis l'intérieur de la ville, dans le quartier européen. La caméra NO2 a été installée à proximité du rond-point Schumann et du bâtiment Berlaymont, et pointée vers la rue de la Loi. Cet emplacement permet d'observer la pollution au-dessus de l'un des boulevards les plus encombrés de Bruxelles.
Un autre avantage de cet emplacement est que la vue est bloquée par un grand bâtiment blanc, situé à 1600m au bout du boulevard. Pour un instrument optique comme la caméra NO2, c'est une configuration intéressante, car le trajet de la lumière est délimité.
Il est amusant de constater que certains bâtiments du quartier européen (comme le bâtiment « Lex ») sont si réfléchissants que l'on pourrait même mesurer le NO2 à partir de la lumière réfléchie sur leurs fenêtres.
Si la caméra a déjà parcouru un long chemin depuis sa conception, de nombreuses possibilités restent à tester. Parmi les applications concrètes, citons l'utilisation de cette technologie de l’IASB pour surveiller les émissions de dioxyde d'azote des navires qui naviguent dans les eaux belges, pour réaliser des campagnes de mesure au niveau de la rue, voire en altitude avec des drones ou des drones HAPS (High Altitude Pseudo Satellite), ou encore pour réaliser une tomographie au sol de la pollution urbaine.