On ne peut tout simplement pas se lancer dans l'espace - que ce soit à des fins commerciales ou scientifiques - sans tenir compte de l'environnement spatial radiatif. Car une fois que l'on quitte la bulle protectrice que constitue notre champ magnétique terrestre, on est exposé à des particules énergétiques qui ont été piégées à l'intérieur de la magnétosphère, une vaste région encapsulant la Terre et à l'intérieur de laquelle toutes les particules chargées électriquement doivent obéir aux règles du champ magnétique de notre planète. Les magnifiques aurores boréales, par exemple, sont la preuve visuelle de ces particules piégées.
Les propriétés physiques de la magnétosphère, avec ses nombreuses sous-structures et interactions complexes, restent un sujet d'étude important aujourd’hui. Plus nous envoyons de satellites dans l'espace (et plus ils sont technologiquement complexes), plus il est nécessaire pour nous de connaître précisément l'environnement radiatif dans l'espace. C'est l'objectif principal d'un nouvel instrument, appelé le « 3 Dimensions Energetic Electron Spectrometer » ou 3DEES (spectromètre à trois dimensions d'électrons énergétiques), que nous préparons dans le cadre d'un consortium avec l'Université catholique de Louvain (Centre des radiations spatiales) et QinetiQ Space. Il s'appuie sur le succès de l’ « Energetic Particle Telescope » (EPT - télescope de particules énergétiques) à bord du satellite PROBA-V. Au sein de ce consortium, l’IASB est responsable de la conception et de la fabrication mécanique de l'instrument et du développement d'un équipement mécanique de soutien au sol (MGSE) qui sera utilisé pour les tests fonctionnels et d'étalonnage. Le contrat avec l’Agence spatiale européenne (ESA) vient d'être signé, ce qui signifie que nous pouvons avancer dans le développement de 3DEES pour un lancement à bord du satellite PROBA-3 de l'ESA en 2023.
Étudier l'environnement des particules et la météo spatiale
A bien des égards, l'espace interplanétaire est loin d'être vide, mais ce qui intéresse le nouvel instrument 3DEES, ce sont les particules à haute énergie extrêmement variables qui peuplent la magnétosphère. Celles-ci peuvent perturber les mesures des satellites, et dans des cas extrêmes, entraîner leur perte, comme ce fut le cas pour le X-ray Astronomy Satellite « Hitomi » de la JAXA en 2016.
Les données de 3DEES serviront non seulement à élargir nos connaissances scientifiques sur les particules chargées dans la magnétosphère, mais aussi à informer les scientifiques et les ingénieurs qui préparent les futures technologies et missions spatiales qui rencontreront cet environnement radiatif.
En effet, les effets de la météo spatiale peuvent avoir un impact négatif sur la technologie et les personnes, dans l'espace, dans le ciel et au sol.
Pour améliorer la modélisation et la prévision de la météo spatiale et de ses effets et prendre les mesures nécessaires, la caractérisation de ces particules à haute énergie dans l'environnement spatial de la Terre est cruciale, c'est-à-dire l'identification de :
- leur source (résultent-elles d'événements solaires ou de rayons cosmiques galactiques ?)
- leur distribution angulaire (de quelle direction arrivent les particules et combien de particules proviennent de chaque angle ?)
- leur distribution d'énergie (quelle est l'énergie des particules et combien de particules trouve-t-on à chaque niveau d'énergie ?)
- leur accélération (comment sont-elles accélérées le long des lignes de champ magnétique ?)
Ces caractéristiques déterminent la dynamique complète de la population hautement énergétique de la magnétosphère. 3DEES sera en mesure de fournir exactement les informations nécessaires, en temps quasi réel. L'avantage de 3DEES est qu'il permettra de mesurer l'énergie et les flux d'électrons et de protons, pour la première fois, simultanément dans différentes directions (jusqu'à 6 angles couvrant environ 180° dans un plan). Comme les particules sont piégées dans le champ magnétique terrestre, cela permet de déduire leur distribution en d'autres endroits également, plus éloignés du lieu où 3DEES effectue ses mesures.
Design et informations techniques de 3DEES
3DEES représente une avancée technologique considérable par rapport à son prédécesseur, l'Energetic Particle Telescope (EPT). L'instrument a une conception modulaire qui consiste en un module capteur panoramique (PSM), composé de 3 modules capteurs orthogonaux (OSM) regardant dans deux directions perpendiculaires, chacun avec un champ de vision de 14,25°. Ainsi, 3DEES peut fournir des mesures directionnelles très fiables du dépôt d'énergie des particules chargées dans le PSM, jusqu’à six angles, couvrant environ 180° dans un plan. Dans un certain sens, on pourrait dire qu'avec 3DEES, c'est comme si six instruments de type EPT miniaturisés avaient été compactés ensemble dans un instrument de poids et de taille comparables, faisant des observations simultanées dans différentes directions, permettant une étude scientifique plus approfondie de l'environnement radiatif de la Terre.
L'instrument couvre les gammes d'énergie des électrons et des protons (100 keV-10 MeV et 4 MeV-50 MeV respectivement) nécessaires pour alimenter les modèles de météorologie spatiale, ainsi que les produits pertinents pour les futures technologies et missions européennes rencontrant l'environnement des ceintures de radiation.
Voyage à travers le cœur des ceintures de radiation avec PROBA-3
Ce premier modèle de démonstration technologique de 3DEES devrait être lancé en avril 2023 à bord du satellite PROBA-3 de l'Agence spatiale européenne (Project for On-Board Autonomy-3). La mission PROBA-3, composée de deux sondes spatiales distinctes, a pour objectif principal de démontrer une nouvelle étape technologique dans l'ingénierie spatiale : le vol en formation en position fixe.
Un satellite (appelé le coronographe) transportera les trois expériences scientifiques : ASPIICS pour étudier la couronne du Soleil (dirigé par l’Observatoire Royal de Belgique), DARA pour mesurer l'irradiation solaire totale et 3DEES. L'autre satellite (appelé l’occulteur) agira comme un disque d'occultation bloquant la luminosité du Soleil pour permettre à ASPIICS de voir clairement la couronne, qui est beaucoup plus faible en luminosité. Pour atteindre cet objectif, les deux vaisseaux spatiaux devront voler ensemble dans une position fixe à environ 150 mètres l'un de l'autre (en configuration d’alignement ), de sorte que le disque d'occultation reste exactement dans la bonne position pour permettre à ASPIICS d'effectuer sa mesure. Fait remarquable, leur orbite hautement elliptique (600 x 60530 km à une inclinaison d'environ 59°, avec une période orbitale de 19,7 heures) les amènera droit à travers le cœur des ceintures de radiation, une fantastique opportunité pour les chercheurs.
Contact
- Dr Karolien Lefever, Chef du service Communication et documentation de l’IASB.
E-mail: Karolien(point)Lefever(arobase)aeronomie(point)be