Ce printemps, l'Arctique a été marqué par ce qui pourrait être le plus grand trou dans la couche d'ozone jamais enregistré au-dessus du pôle Nord. Le trou dans la couche d'ozone est un phénomène saisonnier observé chaque année au-dessus des régions du pôle Sud (Antarctique) en raison de la libération de chlorofluorocarbures (CFCs) dans l'atmosphère due à l'activité humaine. Le trou d'ozone au-dessus de l'Arctique est un événement beaucoup plus rare. Depuis le début des mesures satellitaires en 1978, un seul trou d'ozone a été observé au-dessus du pôle Nord auparavant, en 2011, et qui était beaucoup plus petit que celui observé actuellement. Des conditions météorologiques inhabituelles sont à l'origine de ce phénomène exceptionnel.
Formation du trou d’ozone
Le trou d'ozone se forme dans la basse stratosphère, à une altitude comprise entre 15 et 30 km environ. À la tombée de la nuit polaire, un "tourbillon" se forme qui isole les masses d'air polaires des masses d'air plus méridionales. La température diminue, permettant l'activation des réservoirs de chlore "inactifs".
À la fin de l'hiver, le retour de la lumière du soleil décompose le réservoir de chlore actif, libérant des atomes de chlore qui détruisent l'ozone (on parle alors de réactions catalytiques). Cela n'est possible que si le vortex se maintient après le retour de la lumière du soleil, ce qui est extrêmement rare au pôle Nord.
La source de chlore stratosphérique est principalement l'activité humaine. Il s'agit des CFCs dont la production industrielle a été arrêtée il y a plusieurs décennies justement pour protéger la couche d'ozone. Néanmoins, les durées de vie des CFCs sont très longues et le phénomène de trou d'ozone (du moins au pôle Sud) devrait se poursuivre jusqu'aux alentours de 2060.
Origine de cet exceptionnel trou d'ozone 2020 en Arctique
Examinons de plus près ce qui s'est passé cette année, en 2020, et ce qui a créé les circonstances propices à l'apparition de ce trou d'ozone exceptionnel.
L'animation suivante montre l'évolution de trois substances chimiques, entre décembre et avril, dans la basse stratosphère. Ces substances sont l'ozone (O3), les réservoirs de chlore actif (ClOx, qui est une combinaison des molécules ClO et de Cl2O2), et l'oxyde nitreux N2O. Ce dernier est un indicateur de l'intensité du vortex polaire. L'animation compare le trou d'ozone de cette année au-dessus de la région du pôle Nord (2020) avec le seul trou d'ozone arctique jamais observé auparavant (2011) ainsi qu'avec ce qui peut être considéré comme une année "normale" (2017).
Elle montre en outre les séries temporelles de la quantité de O3 et ClOx dans la basse stratosphère (c'est-à-dire les colonnes pour les altitudes comprises entre 10 et 100 hPa et pour la zone de latitude 60°-90°N), ainsi que le volume du vortex polaire dans la basse stratosphère.
Regardez l'animation sur l'ozone, le chlore actif et le protoxyde d'azote dans la basse stratosphère complète ici.
Que pouvons-nous conclure de cette animation?
Depuis le 14 mars 2020, les colonnes d'ozone au-dessus de l'Arctique montrent des valeurs qui sont inférieures à 220 unités Dobson, considérée comme critère de formation de trou d'ozone. Ces valeurs sont observées sur une superficie maximale de moins d'un million de km2 (environ trois fois la taille du Groenland, soit à peine 4 à 5 % d'un trou d'ozone "normal" en Antarctique). Alors qu'en 2011, le trou d'ozone a commencé à se reconstituer début avril, les prévisions ne prévoient le début de la reconstitution de l'ozone que pour les jours à venir.
Par rapport aux années précédentes, l'activation du chlore en 2020 n'est pas beaucoup plus élevée que les autres années. Cependant, alors qu'en général le tourbillon s'affaiblit avant la fin de la nuit polaire, le tourbillon de 2020 s'est maintenu, ce qui signifie que le chlore a eu plus de temps pour détruire l'ozone. La persistance du tourbillon a en outre empêché le mélange des masses d'air polaires appauvries en ozone avec les masses d'air des latitudes moyennes.
En conclusion : un vortex stable et durable, des températures basses et persistantes et une quantité importante de chlore dans la stratosphère ont fait que le chlore a eu le temps de détruire efficacement l'ozone. Si l'une de ces conditions n'avait pas été remplie, nous n'aurions pas eu un trou d'ozone aussi profond.
Conséquences pour la vie sur Terre
D'une manière générale, la couche d'ozone absorbe une grande partie des rayons ultraviolets nocifs du soleil ce qui permet la vie sur Terre. Les faibles quantités d'ozone observées cet hiver au pôle Nord n'ont cependant pas été suffisamment faibles pour créer un danger important pour la santé ou l'environnement. Les personnes vivant dans les régions polaires exposées ont dû appliquer un crème solaire pour éviter les coups de soleil.
Contact
- Quentin Errera, responsable du groupe “modélisation stratosphérique” de l'IASB
- Email: quentin (point) errera (arobase) aeronomie (point) be
- Simon Chabrillat, responsable du groupe “météo chimique” de l'IASB
- Email: simon (point) chabrillat (arobase) aeronomie (point) be
- Karolien Lefever, responsable du département Communication de l'IASB
- Email: karolien (point) lefever (arobase) aeronomie (point) be
Youtube et Vimeo
Les animations vidéo sur le trou d'ozone de l'Arctique avec des explications sont disponibles sur Youtube et Vimeo.
Contexte technique et remerciements
- Les champs d'ozone, de ClOx (ClO + 2 Cl2O2) et de N2O sont produits par le Système d'Assimilation des Observations Chimiques de Belgique (BASCOE). Les analyses sont limitées par les observations de O3, ClO et N2O effectuées par l'instrument MLS (Microwave Limb Sounder) à bord du satellite Aura de la NASA.
- Pour 2004-2019, nous avons utilisé les valeurs de la réanalyse BASCOE de l'instrument MLS Aura, version 2 (BRAM2, Errera et al., ACP, 2019)
- Pour 2020, nous avons utilisé les produits BASCOE NRT (Lefever et al., ACP, 2015, www.copernicus-stratosphere.eu/)
- Les analyses et prévisions météorologiques sont fournies par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF) :
- Pour la période 2004-2019, nous avons utilisé la réanalyse ERA-Interim du ECMWF
- Pour 2020, nous avons utilisé l'analyse et les prévisions opérationnelles du ECMWF (voir www.ecmwf.int)
- Les cartes sont présentées à une hauteur de température potentielle de 475K, qui se situe dans la basse stratosphère, à une altitude où l'appauvrissement de l'ozone est le plus important.
- Le bord du vortex correspond à l'isoline de l'échelle Potentiel de Vorticité (sPV) égale à 1,7 104 s-1 (Manney et al., JGR, 2011).